dimanche 25 mars 2018

Le campement de Djirwatou

Hervé, Annabel, Inaya, Thaïs, Témoé sur www.voiliermaloya.fr


Maloya a posé l'ancre dans un bolon, un des nombreux bras du fleuve Casamance, au sud du Sénégal. Nous sommes côte à côte avec Didjeridoo. Retrouvailles mythique et attendue avec le bateau d'Arnaud et Rébecca. Nous nous sommes rencontrés au Cap Vert 15 ans auparavant et vécus bord à bord en Guyane. Après des années de chantier et de labeur, de routes passant par la Méditerranée et l'Atlantique,  Ils ont choisi comme destination finale le Sénégal. Le couple s'arrête là, le bateau est vendu, et chacun s'installe ici.

Didjeridoo et Maloya côte à côte au mouillage... Mythique!

Arnaud et sa compagne Elisa souhaitent s’installer plus dans le village (30 habitants), ouvrir un petit restaurant, monter un atelier de mécanique pour moteur hors-bord et bien d’autres projets…
Rébecca et son compagnon, Agolène, ont commencé la construction d'un campement avec bar, restaurant et logements pour accueillir les touristes de passage. Les toubabs comme on les nomme ici.

A quelques minutes en pirogue du village, sur un terrain bordé de mangrove, au bord du fleuve, le lieu est paisible. Ici, tout est à construire : Pas d'eau ni d'électricité, pas de matériaux ni de main d'œuvre sur place. Tout est à faire.

Pour permettre le chantier de construction, il y a d'abord le campement. La pêche du jour, un sac de riz et d’oignons font la base alimentaire. Quelques tentes igloo, hamacs font le logement. Une grande table, des bancs, un filet tendu faisant office de vaisselier et une marmite sur un feu de bois font office de cuisine. Sans oublier le coin feu, pour les soirées au son du tam-tam et arrosées de vin de palme, appelé ici le Bougnouc. Pour la construction, vont s'enchainer une équipe de maçons et une cuisinière, puis des bucherons pour couper des troncs de palmiers et les fendre, et enfin des charpentiers pour finaliser la couverture. Aide de camp, personnes de passages, et les équipages des bateaux au mouillage complètent les grandes tablées pour chaque repas.
Ce soin repas avec au fond la cuisine

Le bar est construit en forme d'une hutte ronde, avec une partie terrasse, et une partie fermée contenant le bar, la cuisine et la réserve. Quelques matériaux sont achetés et acheminés en pirogue depuis la ville voisine : ciment, fers à béton, quelques planches de coffrage, et .... c'est tout. Les briques sont moulées sur place, avec du ciment, du sable et de l'eau qu'il faut aller chercher en pirogue au puits voisin. Fabrication à la main des fers à béton pour les fondations, les poteaux et les chainages. Enfin, pour fabriquer du béton, faute de cailloux, il faut aller ramasser des coquillages à marée basse, sur les bords des bancs de sable, et les rincer à l'eau douce. Bref, un gros travail pour monter la carcasse.


Les parpaings faits sur place sèchent au soleil


La carcasse se monte petit à petit



Un des trois maçons à l’œuvre



Préparation des fers à béton




Collecte de coquillages pour le béton

En parallèle de la construction du bar, il y a la construction d'un puits. Même principe que la maison, mais là les briques sont en arc de cercle pour faire un puits circulaire. L'eau que l'on espère douce n'est qu'à quelques mètres sous la surface, et le sourcier a délimité le bon emplacement. Tout autour, les fleuves sont salés ou saumâtres. La technique pour creuser le puits est simple mais remarquable : ils creusent sur moins d'un mètre de profondeur et commencent à poser les briques en cercle sur un mètre de hauteur. Ils continent à creuser à l'intérieur du puits, et sous les briques, faisant ainsi descendre au fur et à mesure le premier tronçon cylindrique. Ils montent à nouveau quelques rangs de briques et continuent à creuser au fond du puits. Le cylindre de brique s'enfonce petit à petit, le puits se creuse jours après jours, et l'eau finie par suinter au fond du trou. Ouf ! Elle est quelque peu saumâtre au début et devint enfin claire et douce à force d’y puiser. Magie de l’eau dans ce pays sec huit mois de l’année.

L'eau commence à apparaitre au fond du puits





Bientôt la fin!
 

Le chantier se poursuit : il faut pêcher pour nourrir tout le monde, monter les briques, aller chercher de l’eau, préparer les repas, mélanger à la pelle sable et ciment, le tout dans une bonne humeur, entrecoupé de parties de scrabble, de thé à la menthe et de soirées autour du feu.

Grosse contribution d'Hervé pour puiser de l'eau...
 
Vient ensuite l’équipe des bucherons. Équipés de haches, masses et coins. Les palmiers presque centenaires sont sélectionnés, abattus et fendus sur la longueur en plusieurs portions, suivant la section du tronc. Un beau travail d’équipe et une musculature hors norme pour venir à bout de cette charpente. Suivront enfin quelques trajets en pirogue pour l’approvisionnement en paille pour la fabrication de la toiture. Nous partons avant la fin des travaux, mais nous suivons en photos la pose de la charpente et de la toiture. Objectif : finir avant la saison des pluies….

Les troncs de palmiers sont fendus



Les bucherons enlèvent l'écorce dans un geste précis



Et voilà, dans un gros palmier, 10 poutres pour la charpente

Enfin, le projet est d’équiper le campement avec un panneau solaire et des batteries pour la recharge des téléphones, l’éclairage, et peut être un réfrigérateur ? Un ancien bâtiment, détruit suite à la chute d’un palmier, devrait être remonté pour y faire des chambres, un lieu de stockage, et un espace douche et WC. Autour, le potager, les enclos à animaux, un appontement pour la pirogue, le puits, et l’aménagement du campement. Bref, ça bosse dur, et c’est pas fini !!!





Un beau projet dont on n’imagine pas toute la logistique en amont. Un autre rythme de travail et de vie en collectivité. Une autre organisation et d’autres valeurs. Plus qu’un campement pour accueillir à la saison quelques touristes, c’est un mode de vie, une page de vie qui s’ouvre, une autre vie qui commence…


Merci pour cet accueil à Djirwatou

Maçonnerie et charpente terminée, la toiture est en cours de paillage





jeudi 15 mars 2018

Dakar, le CVD et l'ile de Gorée au Sénégal


Nous quittons l’ile de El Hierro dans l’archipel des Canaries avec comme destination Dakar, capitale du Sénégal. Cinq jours de navigation, bonne météo et mer belle, après avoir vécu une semaine agitée au port. Nous avons été récompensé de notre patience.

Départ des Canaries, Thaïs à la barre


Des dauphins nous accompagnent sous l'étrave

Destination Dakar, le plus gros port de l’Afrique de l’ouest. Le Sénégal n’attire plus autant qu’il y a 10 ou 20 ans. Les voiliers préfèrent traverser directement des Canaries jusqu’aux Antilles, avec éventuellement un stop au Cap Vert. L’insécurité et l’instabilité géopolitique de la zone (le Mali n’est pas loin). Des conditions sanitaires apparemment précaires. Des démarches administratives plus contraignantes. Peut-être enfin l’attrait culturel et la découverte de l’Afrique de l’ouest ne sont plus au programme.  Le nombre de bateaux et même de touristes a été divisé par 5 ou 10 en une génération.
Nous posons l’ancre dans la baie de Hann, devant le CVD, Cercle Voile de Dakar. Nous y avions déjà posé l’ancre quinze ans auparavant, lors de notre premier tour de l’Atlantique, sur notre Sun-Fizz.  Ce yacht club est presque la seule porte d’entrée du Sénégal pour y faire les démarches administratives, avant d’aller découvrir les fleuves qui sillonnent le pays. Géré à l’époque par des marins pour des marins, on y trouvait une communauté de globe-flotteurs, avec des ateliers pour les réparations de voiles, de mécanique et autres bricolages ou services. Des sanitaires avec douche solaire chaude, un bar restaurant, et tout autour un jardin fleuri où l’on aimait se poser autour d’un verre, rencontrant et échangeant avec d’autres équipages. Certains avaient posé l’ancre définitivement au Sénégal, d’autres n’étaient qu’en escale d’un long voyage. C’était un petit havre de paix après une journée à bricoler ou à sillonner les rues bruyantes et animées de Dakar. Aujourd’hui, il n’y a plus grand monde, à peine une dizaine de bateaux, dont la moitié sont vides. Les douches sont froides, quand elles fonctionnent. Un atelier de mécanique moto a ouvert ses portes dans un des locals du CVD, et les extérieurs sont jonchés de motos et de débris de bateaux. Les formalités administratives sont longues et hasardeuses. Le bar est déficitaire, comme les caisses du CVD. La gestion a changé de main et le CVD est devenu un Cercle en Voie de Disparition.

Les pirogues des pêcheurs et autres bateaux à l'abandon sur la plage, devant le CVD


La plage est jonchée de déchets et d'algues en décomposition...




Les filles découvrent un centre équestre juste à côté du mouillage. Le rêve ! Nous enchainons les séances d’équitation avec des moniteurs très sympas et pédagogues. Nous profitons du WE pour assister à une compétition nationale de sauts d’obstacles. Les filles sont emballées. Elles rêvent déjà au centre équestre qu’elles construiront quand elles seront grandes…

Inaya en plein galop




Thaïs pose pour le couverture de Cheval Magazine...




Témoé en promenade

Nous explorons Dakar, ville immense et déroutante. Un autre rythme. C’est aussi l’occasion de se plonger dans une page d’histoire, avec la visite de l’ile de Goré, étape des voiliers négriers pratiquant le commerce triangulaire, commerce lucratif mais incertain. Partant du Portugal et d’Angleterre, mais aussi de Nantes, de Bordeaux et d'autres ports européens, les bateaux étaient financés, armés et naviguaient chargés de matières premières, de tissus et d’armes à destination de l’ouest africain et du golfe de Guinée.  Les armateurs achetaient des esclaves, plus d’une centaine par navires. Ces hommes, femmes et enfants étaient préalablement capturés à l’intérieur les terres par des négriers noirs et emprisonnés dans des fortins en bord de mer. L’ile de Goré était une de ces destinations de chargement d’esclaves et d’approvisionnement en denrées et en eau avant la traversée. Les bateaux faisaient voile vers le Brésil, les Caraïbes et l’Amérique. A l’époque, en plein expansion, les plantations de canne à sucre, mais aussi café, coton, cacao et tabac nécessitaient de la main d’œuvre à bon prix. Enfin, troisième partie du triangle, le retour des navires vers l’Europe avec les cales chargées de sucre, d’épices, de coton et de métaux précieux. Ce commerce dont a profité l’Europe s’est déroulé de la fin du XVème siècle, soit un peu avant François Ier jusqu’à la fin du XIXème siècle, soit sous Napoléon III. L’abolition officielle par Scholcher est en 1848. Il a fait l’objet d’alliances et de conflits entre européens pour se rendre maître de ce commerce triangulaire et a particulièrement été intense après la fin du XVIIème siècle, soit sous Louis XIV. Plus de 10 millions de personnes ont été déportées dans les Amériques, et au moins autant sont mortes lors des captures et du transport.
Ainsi, devant ces chiffres et ces dates qui semblent abstraits et appartenir à l’histoire, nous nous trouvons là, devant la porte du non-retour, dans une ancienne esclaverie, sur l’ile de Goré. Nous allons mettre les voiles sur les Antilles, et continuer à découvrir l’histoire de ce commerce triangulaire qui a marqué l’Europe, l’Afrique et le continent américain, et ce de façon bien concrète et toujours actuelle.

L'océan pour horizon depuis la porte du non retour




La maison de l'esclavage sur l'ile de Goré

Nous quittons Dakar pour une navigation de 24 heures en direction du sud du pays, la Casamance. La navigation est rendue difficile par la présence de nombreuses pirogues en bois au ras de l’eau, peu ou pas éclairées. De nombreux filets dérivant en surface sur plusieurs centaines de mètres de long. Les conditions de travail de ces pêcheurs sénégalais sont difficiles, et les bateaux usines étrangers qui sillonnent au loin ces eaux poissonneuses rendent aléatoires les prises.










































Sculpture sur l'ile de Goré


Les rues de l'ile de Goré



Les écoles de Dakar en visite



Une rivière à Dakar, en saison sèche. A La saison des pluies, tous les déchets seront évacués en mer.



Un vent chargé de sable et de poussières recouvre tout le bateau. L'antenne blanche a une face devenue marron

Le soleil disparait dans un brouillard de poussières sur l'horizon



Séance de nettoyage du cockpit par Témoé dans les eaux propres de la Casamance