mardi 15 mai 2018

Martinique

Nous laissons la Barbade dans notre sillage pour un retour en France : Direction La Martinique, et la baie du Marin. Ce trou à cyclones abrite la plus grande marina de l'arc antillais, et on y trouve une importante flotte de catamarans de location, de voiliers de voyage, des boutiques d'accastillage, des professionnels du nautisme et bien sûr, les bars, restaurants et autres magasins pour approvisionner les occupants de cette gigantesque forêt de mats. Certains apprécient d'y retrouver un point d'ancrage, confort et réconfort, ou de quoi réparer après une transat. D'autres fuient ces bateaux agglutinés au fond d'une mangrove à l'eau douteuse.

Arrivée en Martinique
Avant de poursuivre notre voyage, nous voulons nous arrêter pour travailler une année et remettre les enfants à l'école. Le Marin est réputé pour être une bonne destination pour refaire la caisse de bord. Nous profitons de cette escale pour prendre nos marques avant la rentrée de septembre, puis de continuer sereinement notre voyage dans le sud des Antilles.
S’enchainent alors lessives, rencontres et retrouvailles, bricolages, écriture de CV, démarches administratives, courses, et de bonnes douches, chaudes et longues, pour clôturer la journée. De nombreux enfants de bateaux se retrouvent après l'école pour jouer ensemble et faire du roller sur une esplanade, tandis que les parents, assis sous des cocotiers, papotent en sirotant une bière. On se croirait dans une grande cour de récréation!

Thaïs est sous le plancher, pour nettoyer les fonds

Et Témoé nettoie bocaux et bouteilles avant de les ranger à nouveau

Même sous les cocotiers, l'école. L'année n'est pas encore terminée
Pour la rentrée, Inaya a déjà essayé son futur cours de danse classique, Thaïs a visité le centre équestre où elle rêve de monter, et Témoé est ouverte à tout, tant qu'on s'y amuse. Nous avons visité et inscrit les filles à l'école, à quelques pas de la marina. Annabel a trouvé un poste de Kiné en libéral dans un cabinet à 20 minutes en voiture. En pleine forêt et au contact des locaux, de quoi profiter pleinement de la Martinique. Hervé, après avoir hésité à se remettre à son compte en temps qu'artisan agenceur, a trouvé un poste en salarié dans une menuiserie spécialisée dans le nautisme, et ce à cinq minutes à vélo du bateau.

Thaïs a trouvé une vieille imprimante dans une poubelle et prend un grand plaisir à la démonter pour récupérer quelques pièces....
Nous profitons de ces trois semaines d'escales pour visiter l'intérieur des terres avec notre voiture de location. Nous avons le plaisir de gouter aux bouchons pour nous rendre à la capitale, Fort de France. Tous les matins, tous les soirs, la quatre voie, artère principale de l'ile, est saturée de voitures avec un seul conducteur, confortable dans sa bulle sonorisée et climatisée. Outre l'absence de transport en commun, la voiture est reine, chérie, statutaire, indispensable et irremplaçable. Coté pollution, nous apprenons aussi que toutes les bananes que nous mangeons en métropole, et produites dans les Antilles, sont contaminées au chlordécone, un perturbateur endocrinien, neurotoxique et cancérigène, reconnu pourtant depuis longue date. Ce pesticide utilisé pendant plus de 30 ans a pollué de façon durable les sols antillais. Les békés, blancs descendants des anciens esclavagistes, et détenant une grande part de l'économie et de l'agriculture en Martinique, sont montrés du doigt. Une crise méconnue de la métropole mais qui a des répercutions à la fois sanitaires, environnementales, économiques et sociales. Du coup, y'en a qui ont moins la banane avec cette affaire explosive!



Pour finir avec l'environnement en Martinique, citons l'arrivée massive cette année des algues sargasses sur les Antilles et sur la cote au vent de l'ile. Plusieurs mètres d'épaisseur d'algues accumulées par le vent, agglutinées sur les plages et dont les gaz toxiques issus de leur décomposition font fuir la population, ou du moins les touristes.  Peu de solutions pour résoudre le problème : quand on la coupe, de chaque morceau nait une nouvelle algue ; elle est trop humide pour être brulée; elle est trop salée pour servir d'engrais; en compost, il faut l'associer avec d'autres végétaux et sa décomposition est nauséabonde...
Notre route emprunte aussi celle du commerce triangulaire. Après notre passage au Sénégal, nous découvrons ce qu'ont enduré ici les esclaves, dans les plantations de canne à sucre, et tout le métissage de la population qui en résultera. Petite anecdote de l'Histoire : Au début du siècle dernier, sous Napoléon Ier, lors du blocus continental contre les anglais, plus aucun produit des Antilles ne parvient en France, dont le sucre produit à base de canne à sucre. Le sucre est alors produit directement en France, avec de nouvelles techniques à base de betterave, et pour moins cher. A la fin du blocus, la production de sucre dans les Antilles s'effondre, et malgré des restructurations, concentrations, et grèves générales, le sucre à base de canne à sucre n'est plus le poids lourd de l'économie locale. Le rhum offre alors de nouveaux débouchés pour les plantations de canne. La qualité des rhums martiniquais n'est plus à démontrer!
Sinon, l'île est belle, verdoyante et accueillante. La mer est omniprésente. Un autre rythme donné par la chaleur, une autre ambiance donnée par son histoire. Une destination que nous ne nous lassons pas de découvrir.


Arrivée sur les Anses d'Arlet

Nous quittons le Marin et le sud de la Martinique pour remonter au nord de la cote sous le vent. Première destination : les Anses d'Arlet, au nord de la baie de Fort de France. En cette saison tardive, seulement quelques bateaux occupent le mouillage, et nous profitons de cette belle escale pour de superbes plongées et randonnées en palmes, masque et tuba (PMT).


Hervé est en plongée par 10 mètres de fond. Une bonne visibilité depuis la surface!
Maloya continue sa route vers le nord de l'île, et nous jetons l'ancre devant Saint Pierre, au pied du volcan, la Montagne Pelée. Ici, le sable est noir, donnant à la mer des reflets sombres malgré la clarté de l'eau. Cette ville est chargée d'histoire avec l'explosion du volcan la Montagne Pelée en 1902, voilà plus d'un siècle. Des nuées ardentes ont en quelques minutes dévalées les pentes du volcan, brûlant et ensevelissant les 30 000 habitants de cette ville, alors florissante et rayonnante sur les Antilles. Malgré les avertissement, secousses et fumerolles, la ville n'avait délibérément pas été évacuée, pour causes d'élections législative prévues deux jours plus tard. Trois personnes semblent avoir survécues, dont un célèbre prisonnier, protégé par les épais murs et l'orientation de sa cellule. Emprisonné pour quelques semaines, l'histoire retiendra qu'il était condamné à mort et fut célèbre comme phénomène de foires aux États-Unis. Comme quoi, l'Histoire...
Petit à petit, la ville s'est reconstruite sur les ruines de l'ancienne, le rayonnement et l'avant-gardisme en moins. Nous profitons de ce cadre montagneux pour quelques randonnées sur des pentes escarpées, à l'ombre d'une forêt luxuriante ou à la fraicheur de cascades. Le nord de la Martinique est sauvage et promet de belles découvertes!

La Montagne Pelée dans les nuages avec la ville de Saint Pierre en bord de mer


La gentillesse des martiniquais et la beauté de l'ile nous ont séduit. Après cette belle escale d'un mois et demi, l'arrivée de la saison cyclonique nous chasse et nous mettons les voiles vers le sud des Antilles : Direction les Grenadines!!!


Forêt luxuriante avec des fougères arborescentes

Inaya en forêt
Thaïs en forêt, mais la tête en bas

Sous une cascade d'eau fraiche

A la douche!

jet hydromassant...


rando au pied de la Montagne pelée

Sous un climat chaud et très humide

Témoé s'en donne à cœur joie dans la boue

Elle explore cette forêt démesurée, où la végétation occupe chaque espace

Le relief est parfois abrupte

Passage à pied d'une rivière

... ou en empruntant un pont de singe

Maloya au mouillage devant le village de St Pierre

C'est la fête des mères : Vive Annabel!!!!

Avec petits mots doux dans des fleurs en papier, entourées de bougies flottantes

....et lait de coco en cocktail!

Témoé, très fière d'avoir construit un pont sur arche

Inaya et Thaïs construisent un circuit de billes géant

Accrobranche
Inaya

Bambous géants







Surf tracté au mouillage




Inaya et Thaïs dans une figure en duo

Témoé en solo






Auto-portrait par Témoé


jeudi 10 mai 2018

La Barbade

La Barbade est une ile isolée à l'Est de l'arc antillais. Portés par les alizés, c'est donc notre première escale en Amérique après 20 jours de navigation. Nous espérions y trouver du repos dans un mouillage tranquille, fruits et légumes à volonté, et découvrir un nouveau pays, une nouvelle culture.
Une première approche nous offre cocotiers, eau transparente et sable blanc, mais rapidement des jets-ski nous frôlent et nous abrutissent toute la journée, le mouillage est rouleur, les fruits et légumes sont vendus à l'unité et hors de prix, et on abandonne l'idée de prendre un verre dans un bar. Ils bordent la plage et nous abondent de musique jusque tard dans la nuit. L'architecture n'a rien de spécial, les rues sont remplies de grosses voitures pressées, et les habitants locaux sont occupés par l'élection présidentielle à venir. Sans oublier les formalités d'entrée et de sortie interminables. Bref, nous ne sommes pas très séduits par cette carte postale d'ile pour touristes américains...

Thaïs dans l'eau chaude et transparente de la Barbade



Fini la transat, c'est l'occasion de reprendre le chemin de l'école à bord

 

Nous remettons les voiles pour la Martinique et la baie du Marin. Non pas que cette destination soit paradisiaque, mais c'est une bonne escale technique, facile pour y trouver du travail et bien abritée des cyclones. Notre projet est de nous y arrêter une année, en 2018/2019, scolariser les enfants et reprendre le chemin du travail, avant de repartir vers de nouvelles aventures. D'ici là, nous partons naviguer l'été dans les grenadines, au sud de l'arc antillais.

mardi 1 mai 2018

Traversée de l'atlantique

Hervé, Annabel, Inaya, Thaïs, Témoé sur www.voiliermaloya.fr
Traversée de l'Atlantique, fin avril à début mai 2018



Mercredi 18/04/2018 - 12°29.37'N 016°42.45'W

L'heure du départ approche.... et l'heure de quitter le Sénégal et les amis aussi.
Douce et belle escale, un autre continent, un autre rythme. La quiétude s'installe quand la nuit nous couvre de ses étoiles. La température redescend. Le fleuve murmure. Maloya est juste posé sur l'eau. Plus un bruit, juste le bruissement de la mangrove. Une journée s'est écoulée.
Ici, Le voyage s'appelle découverte...

Mais voilà, le voyage, c'est partir et encore repartir.
Les alizés nous attendent.

Nous traversons l'Atlantique avec deux autres bateaux, tous deux en partance pour la pointe de Brésil. L'un continuera vers le sud et la Patagonie. L'autre vers le nord et Panama. Peut-être nous retrouverons nous dans un autre océan. Nous devrions naviguer à vue, sinon à portée de VHF pendant quelques jours.
Notre route est simple : garder la même latitude et aller en direction du soleil jusqu'à toucher terre. Cela pendant trois semaines. Première destination des Antilles : La Barbade, puis les Grenadines et enfin la Martinique à la fin de l'été.
Nous avons une belle fenêtre météo pour la traversée. Alizés établis et stables. Du vent du nord pour la première semaine, soit un vent de travers. Puis une fois le Cap vert derrière nous, des vents plus soutenus et de nord-est. Enfin, les prévisions pour la dernière semaine sont des alizés d'est, soit plein vent arrière. Maloya devrait glisser comme une planche de surf sur la longue houle de l'Atlantique.
C'est finalement à cinq que nous faisons cette transat. Pas d'équipier ni de raccourcis en avion. Les filles sont partantes pour cette grande navigation. Pas d'école, grasse mat' et films à volonté. Pourquoi s'en priver?


Sortie du fleuve Casamance avec Theleme et Pikaia


Vendredi 20/04/2018 19:44 (utc) - 11°27.03'N 020°12.12'W

Départ de Casamance avec une sortie un peu agitée dans la passe. Nous sommes dans l’océan, tout va bien…

Mer un peu hachée au début, il faut s’y remettre après un mois au calme.

Nous filons à plus de 7 nœuds de moyenne. Super !!!

Plus que 2310 milles...

Les deux autres bateaux disparaissent dans la nuit. Bonne nav’ les amis ! Nous aurons de vos nouvelles de l’autre côté. Que les vents vous soient favorables….

Maloya sous voiles

Dimanche 22/04/2018 19:58 (utc) - 10°53.44'N 025°25.99'W

Çà y est, nous sommes au sud du Cap Vert. Plus que 4/5 de la navigation à faire, soit seulement 2 000 milles encore à parcourir!
Le mal de mer commence à diminuer, mais aujourd'hui, Herve nous a fait une bonne gastro. On espère que demain sera mieux...
Les filles sont extra. Elles sont dans le cockpit toute la journée à jouer dans un monde imaginaire. Pour l'instant, pas question de sortir les playmobiles, les coloriages ou livres, on n'est pas assez amariné. On espère que ça viendra vite.
Coté météo, c'est parfait. 15 à 20 nœuds de vent par le travers. Maloya file entre 6 et 8 nœuds et on commence à rejoindre notre trajectoire idéale.

Fin de soirée sur l'océan


Mardi 24/04/2018 20:29 (utc) - 10°20.12'N 029°44.84'W

Et voilà, toujours en mer, avec encore 1764 milles à faire. Le cap vert est maintenant loin derrière nous. Nous voguons au-dessus des plaines abyssales par 5000 m de fond, et allons bientôt passer au-dessus de la dorsale médio-atlantique, soit le centre géologique de l'Atlantique. En bref, on avance.
Nous avons rangé la grand-voile et mis le génois et la trinquette tangonnée en ciseau. La dérive est complètement relevée. Maloya vogue à 140 degrés du vent à un peu plus de 5 nœuds. Nous avons commencé notre longue route au portant. Les prévisions météo pour la suite sont bonnes. Le beau temps en France est synonyme d'une météo stable ici. La houle n'est pas encore trop marquée, mais une mer plutôt hachée avec quelques moutons. Maloya du haut de ses 15 mètres et 20 tonnes passe tranquillement au milieu de ce bleu infini. Nous sommes heureux d'avoir un bon bateau... Les vols de perroquets de la Casamance ont laissé place aux bancs de poissons volants.
Coté équipage, Hervé a terminé sa gastro - mal de mer, et après une cure de riz blanc, a repris une forme et un régime normal. Ne vous inquiétiez pas pour ces quelques premiers jours sans manger, il a encore quelques réserves. Les filles sont en forme, fini le mal de mer. Elles ont retrouvé les playmobiles à l'intérieur, dessins, bricolages, films, jeux sur la tablette et lecture. Nous avons hâte d'animer nos nuits de quarts des 7 saisons de la série Game of Throne. On avait un peu de retard…

Pas grand monde à l'horizon depuis le départ, quelques traces lointaines sur l'AIS ou au radar.

Inaya en pleine lecture d'Astrapi



Jeudi 26/04/2018 20:42 (utc) - 10°09.40'N 033°47.32'W

Ce soir, c'est pizza film! Vaïana, histoire de rester dans le thème.
Thaïs a perdu une dent. La petite souris aura du mal à nous rejoindre, elle nous a fait savoir qu'un poisson volant nous rendra visite.
Coté santé, c'est encore bouché pour certains intestins et trop fluide pour d'autres. Témoé a vomit encore deux nuit de suite et dort avec nous dans le cockpit. Bref, nous avons hâte de nous amariner.

Le vent a faibli, et nous avons remis grand-voile haute et génois pour accélérer et être plus confortable sur les vagues. Du coup, une route un peu plus sud. Les moutons sont rentrés à la bergerie. La température a augmenté et les nuits moins fraiches.
Cela fait quelques jours que le bleu profond de l'océan est maculé de taches marrons. Des algues sargasses. Avec leurs petits flotteurs, elles forment des bancs à la surface de l'eau. De nombreuses petites crevettes et autres petits poissons profitent de ces ilots flottants pour s’abriter. Toute cette vie se déplace comme nous, en bateau, sur les océans, poussée par les vents et courants.
Nous ne pouvons pas pêcher à la traine, car les lignes ne feraient que de se prendre dans les algues. Pas de poisson frais pour la transat, on mange du thon en boite !

Bancs d'algues Sargasse. L’océan en est maculé...
Détail d'algues Sargasse, avec les flotteurs.


Samedi 28/04/2018 21:21 (utc) - 10°33.77'N 038°12.97'W

Déjà 10 jours, encore 10 jours et 1250 milles à parcourir. Nous sommes bien au beau milieu de l'Atlantique.
Nous prenons le rythme bien que nous soyons déçus de ne pas être totalement encore adaptés aux mouvements du bateau. Seule Thaïs, qui était très sensible au mal de mer au début du voyage, est adaptée, dedans comme dehors. Nous alternons tous les deux les quarts, de jour comme de nuit, toutes les 3 heures. Du coup, nous ne sommes réunis qu’autour des deux repas. 
Les activités du bord sont lectures, playmobiles, travaux manuels, films et observation de la mer. Il y a plein d'oiseaux, d'abord des fous de bassant puis maintenant des sternes et d'autres oiseaux de haute mer que nous ne connaissions pas. Et toujours les bancs de poissons volants. Par contre, nous n'avons croisé que quelques dauphins les premières nuits.
Les filles commencent à avoir besoin d'activités physiques et nous commençons à être las de ce mouvement perpétuel.
Nous sommes étonnés du nombre de cargos que l'on croise au loin, quasiment un par jour. Grâce à l’AIS, nous voyons sur notre carte électronique les cargos qui sont autour de nous, jusqu’à 25 milles. 


Chaque jour, les filles attendent leur "surprises de navigation". Ce sont des livres, des revues, des petits jeux et activités manuelles.... de quoi les occuper quelques heures.

Nos tâches quotidiennes s’organisent entre faire du pain, du yaourt, la cuisine puis la vaisselle (tâche la plus pénible quand ça bouge, il fait chaud à l’intérieur et il faut économiser l'eau), la lessive à la main (avec l'eau argileuse du puits de Casamance, l'avantage est qu'on ne sait pas si la couleur de l'eau vient des habits sales ou de l'eau elle-même), la douche au pulvérisateur,  la vérification du pont, des voiles, des fonds, du pilote automatique, des safrans, de l'arbre d'hélice.... Le moteur n’a pas tourné depuis le départ, et les panneaux solaires et l'alternateur entrainé par la ligne d'arbre nous produisent assez d'énergie pour compenser le pilote automatique et l’électronique qui fonctionnent en permanence.
En plus de l'eau de boisson, nous consommons 10 à 15 l d'eau par jour pour la famille. Nous sommes partis avec 1000 litres d’eau dans les réservoirs plus de l’eau en bouteille pour boire.

Le vent est constant, on est bien dans les alizés, 15 à 20 nœuds, mais de travers. La houle océanique est peu formée à l'exception de quelques séries de vagues. Le bateau encaisse très bien les accélérations de vent et les secousses des vagues.
Il fait beau, le temps se réchauffe. La nuit, nous avons rangé les bonnets, plus besoin que d'une petite couverture polaire.

Préparation du repas par les filles

Poisson volant atterri sur Annabel lors de son quart de nuit : sursaut garanti!
De temps en temps, des oiseaux terrestres, fatigués, se posent sur le bateau quelques jours, le temps de reprendre des forces



Lundi 30/04/2018 21:32 (utc) - 11°20.57'N 042°40.91'W

Nous n'avons pas encore gouté à la longue glissade, vent arrière, sur la longue houle de l'Atlantique. Nous avons fait une route un peu plus sud au départ, et nous sommes plus sud que notre trajectoire directe. Nous naviguons encore à 130 degrés du vent, avec une houle de travers. De temps en temps, une plus grosse vague vient éclater sur le côté de la coque et nous projette des embruns dans le cockpit. Petits sursauts garantis.



Cette nuit, Annabel m'appelle en urgence vers 3 h du matin. Il me reste encore une heure à dormir. La barre ne répond plus... Le bateau s’est mis naturellement sur une nouvelle trajectoire où il reste stable, à 90 degrés du vent. Nous naviguons sous 3 ris dans la grand-voile et génois, par 20 à 25 nœuds de vents. La lune est pleine et éclaire les embruns dans cette nuit nuageuse. Nous parlons avec efficacité et gardons notre sang froid. Je descends dans le coffre arrière pour regarder le secteur de barre, le pilote automatique et les drosses. Rapidement, je découvre l’axe qui relie les safrans au secteur de barre, dessoudé. Point faible de toute cette tringlerie. Je monte la barre de secours sur les safrans, et Annabel prend la barre pour nous remettre en marche. Je fouille dans l’atelier pour prendre quelques outils et boulons. Je replonge dans le coffre pour mettre un nouveau boulon à la place de l’ancien. La tête du boulon dépasse et bloque la tringlerie. C’est pour ça qu’il était soudé et non vissé... j’hésite à sortir mon poste à souder, ma pratique date de mes cours d’IUT en mécanique, il y a plus de 20 ans, et le poste est tout à l’avant, bien rangé au fond d’un coffre. Mon cerveau fume. Je démonte la plaque support, intercale un autre écrou, et trouve le boulon qui faut pour fixer la rotule. Je n’ai pas le bon diamètre, mais bien serré, ça devrait tenir. Je remonte le tout, essaye le pilote, enlève la barre de secours. Nous reprenons notre route normale. Notre petit boulon chéri semble tenir. Merci notre petit boulon. La pression descend. Sans barre, faire 1200 milles n’a rien de rigolo.
Pour fêter cette réparation, on se prend un verre d ice-tea (la super boisson quand on n’a pas soif et qu’il faut boire, et la seule boisson qui a bon gout à vomir). Je re-regarde notre petit boulon, il fait bien son boulot. Annabel va dormir et je prends mon quart.


La santé de tous va mieux. Transit et mal de mer sont passés. Nous ne buvons que de l'eau en bouteille depuis le départ, pour prévenir ces problèmes digestifs.

Cet après-midi, après avoir fait un check du bateau, caressé affectueusement notre vaillant petit boulon, je contrôle la tension des batteries. Elle est basse, mais rien d’alarmant. Normalement, avec les panneaux solaires et l’alternateur de ligne d’arbre, on est toujours chargé à bloc. Petit tour avec la pince ampermétrique et le testeur. L’alternateur de ligne d arbre ne débite pas beaucoup. Peut-être que des algues sargasse sont prises dans l’hélice, il y en a toujours en quantité autour de nous. Il nous reste les 550w de panneaux solaires, le temps est certes nuageux, mais les ampères ont du mal à sortir des panneaux. On barre pour limiter la consommation du pilote, et on coupe le frigo. Il faut réfléchir encore, garder son sang-froid. Au pire, nous avons toujours le moteur pour recharger les batteries.
Ce soir, les filles nous font un spectacle de danse, en costume. Elles sont loin du petit boulon et de la charge des batteries, ça nous fait plaisir de les voir ainsi, jouer, rire, et profiter de la transat. Nous nous échappons. Plus que 1000 milles...

une autre fin de soirée...
piscine et jeux d'eau dans le cockpit


Mercredi 02/05/2018 21:29 (utc) - 12°12.27'N 047°27.62'W

Nous avons passé les deux tiers de la transat, et retrouvé les fonds de 5000 m des plaines abyssales. Reste 6 jours de mer, et une arrivée prévue le 8 mai.
Notre 1 mai n'a pas été férié, car après une nuit longue et fatigante à barrer pour économiser l'énergie, j'ai cherché la panne électrique. Pourquoi les ampères partent et ne rentrent pas dans les batteries ? Transpiration dans le local moteur avec la pince ampermétrique, à vérifier les connections, les fixations et les tensions. J’ai finalement trouvé un panneau solaire HS. Les deux panneaux sont montés en série, et donc plus de production solaire, ce qui représente le gros de notre production électrique. L'alternateur de ligne d'arbre est de nouveau en marche, et un seul panneau solaire fonctionne. Les ampères remontent, nous rallumons le frigo, et le pilote reprend du service. Le petit boulon est toujours en place. Merci petit boulon.

Les filles vont bien, nous enchaînons les parties de UNO et de « qui est-ce ? », sans oublier de regarder encore et encore l’Age de glace. Dessins et lectures, siestes, douche au pulvérisateur, regarder la mer et les poissons volants. Toujours pas de pêche, par manque d'envie et présence des algues qui se prendraient dans la ligne.

Voilà, plus que 6 jours à se faire valser avant de rejoindre la Barbade…

Merci la tablette....
Un cargo, juste avant de se faire engloutir par une vague gigantesque...


Vendredi 04/05/2018 22:22 (utc) - 12°54.99'N 051°55.13'W

Hier, nous n'avions plus que 1/4 du trajet, et aujourd’hui plus que 1/5 du trajet. Les milles défilent, il nous en reste 450 à faire. On espère toujours arriver le 8 mai.
Les prévisions météo sont bonnes et stables. Pas de problème technique à signaler. Nous mettons à l’eau notre filet à plancton pour prélever des échantillons pour l’association Astrolabe. Nous avons toujours la surprise de prendre, en plein milieu de l’océan, des petits crabes et crevettes cachés dans les algues sargasse. Thaïs et Témoé en profitent pour les observer et en adopter quelques-uns, avant de les conserver dans une éprouvette d’alcool.
Les filles dessinent les plans de leur futur centre équestre, ou ferme avec de nombreux animaux, qu'elles auront plus tard. Elles nous abreuvent d’explications et détails et nous demandent des conseils. Gare à nous si nos réponses sont trop évasives... Nous bouquinons et passons du temps à rêver et admirer l'eau qui passe le long de la coque, les levers et couchers de soleil, les étoiles qui brillent, la grande ourse presque à l'horizon et la croix du sud enfin visible. Enfin la lune qui se lève et ne laisse briller que quelques étoiles.
C’est long, mais ces moments en famille resteront gravés dans nos mémoires. Cette vie à 5 dans quelques mètres carrés, bercés par la houle...

Filet à plancton trainé à 2 nœuds durant 10 minutes
Collecte des échantillons
Observation des échantillons avec un smartphone transformé en microscope


Dimanche 06/05/2018 22:20 (utc) - 13°15.78'N 056°21.91'W

Nous filons vent arrière, le génois et la trinquette en ciseau, c'est à dire, ouvertes comme les pages d’un livre. Nous naviguons entre 140 et 170 degrés du vent, suivant la houle et la force du vent, pour être le plus confortable possible. De temps en temps, de grosses vagues de 3 à 4 mètres nous dépassent, déferlent dans la jupe, et font partir Maloya dans un petit surf. Nous sommes trop lourds ou pas assez toilés pour vraiment continuer à surfer toute la vague. L’océan est d’un bleu profond. Quand le sommet des vagues est bien dessiné, leur crête devient bleu clair, presque translucide. C’est beau ! Toujours ces langues d'algues à la surface, dans le sens du vent, l'océan en est moucheté. On se fait toujours un peu ballotté de gauche à droite, mais nous avons une bonne moyenne, avec des vents de 15 à 25 nœuds. Arrivée toujours prévue le 8 mai. Demain est donc notre dernière journée complète en mer. Moins de 200 milles. Étrange d'y penser, se dire qu'après, tout ça va s'arrêter, que nous serons à la Barbade. 


D’ici là, nous restons vigilants et observons attentivement le bateau, et prenons soin de notre petite famille.
Ce soir c'est pizza!!! Merci Annabel
Génois et trinquette tangonnée, en ciseau
Dernières manœuvres avant la nuit



Mardi 08/05/2018 12:31 (utc) - 13°05.51'N 059°36.90'W

L'ancre a touché le sable de la Barbade.

Nous l'avons rêvé, nous l'avons osé, nous l'avons fait!

Nous avons traversé l'océan Atlantique en famille. Trois semaines de mer, loin de tout, à compter sur nous même, à vivre dans notre petit monde, poussés par les vents, et bercés par la houle. Les jours et les nuits se sont enchaînés, les milles additionnés. Enfin, voici la Barbade. Des plages de sable blanc bordées de cocotiers, dont les palmes s'agitent doucement, caressées par les alizés chauds. Une destination des tropiques qui ressemble aux autres, mais pour celle-ci, le Petit Prince nous aurait chuchoté "vous l'avez apprivoisée".
Traverser l'Atlantique en famille ne s'achète ni ne se donne, nous avons provoqué la chance, et cette transat nous appartient. Plus que le souvenir d'un moment passé, une longue page de notre histoire familiale se tourne. Nous aurions pu venir en avion, être équipier sur un autre bateau, ou nous y arrêter le temps d'une escale. Mais bien plus que la destination, ce qui compte à nos yeux, c'est le chemin parcouru, c'est être en chemin.
Nous allons maintenant mettre le pied à terre, croiser des visages, embrasser la foule. Moment tant attendu mais aussi redouté. La tension va tomber, nos jambes faire plusieurs pas de suite, sans que nos mains nous retiennent. Une bonne douche, abondante et chaude. Et ce soir, un bon repas dans un bon resto. Des assiettes immobiles sur une table vont remplacer nos bols tenus entre nos genoux.
Et enfin, rassasiés et pleins de quiétude, nous nous endormirons pour une longue nuit complète. Nous pourrons alors rêver : Nous avons traversé l'Atlantique en famille.


Fatiguée après ces nuits de quarts? mais heureuse d'arriver...
Approche du mouillage...


La transat en quelques chiffres :
0 lever ou coucher de soleil, car il y avait en permanence une couche de brume ou de nuages sur tout l’horizon. On a juste eu parfois quelques couleurs. Certainement des vents de sable venus du Sahara.
1 Fuite d’eau salée dans les fonds dès le troisième jour, due à l’arrivée d’eau de mer des toilettes.
2 Cargos en route de collision, très proche, en plein milieu de l’Atlantique. Nous avons croisé beaucoup de cargos à moins de 20 miles de nous (soit environ 35 km), tous les jours de la traversée. L’océan est peuplé !
6 nœuds, notre vitesse moyenne. Une bonne vitesse pour nous. Imaginez, nous avons traversé l’Atlantique à 10 km/h, soit la vitesse d’un jogger !
10 nœuds, notre vitesse maximum sur un surf.
20 jours en mer, loin des côtes, et autant de nuits de quarts à se relayer toutes les trois heures pour prendre son tour de soin du bateau.
60 surprises de navigation pour nos trois filles, soit des petits bricolages, des petits travaux manuels, des livres…. Ces surprises ont bien participé à la bonne humeur générale et à chasser l’ennuie.
2788 milles parcourus, soit 5000 km
Des milliers de poissons volants.
Des milliards de vagues venant du travers, qui inlassablement ont fait dandiner notre voilier ou ont arrosé le cockpit…
Et beaucoup de bonheur d’avoir fait cette transat en famille….